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24 octobre 2010

La Venus noire hottentote

Paru dans sudouest quotidien français du 24 octobre 2010 10h28 |Par Sophie Avons.avon@sudouest.fr

cinéma : la Venus noire

Le beau visage de Saartjie, qu'interprète avec une mélancolie impassible Yahima Torres. PHOTO DR

Le beau visage de Saartjie, qu'interprète avec une mélancolie impassible Yahima Torres.  photo Dr

 Une icône mise à mort

Saartjie Baartman était exhibée dans les foires au début du XIXe siècle. Dans « Vénus noire », Abdellatif Kechiche en fait un grand film sur l'obscénité du regard

On l'appelait la « Vénus hottentote » - du nom d'un type de femme d'Afrique du Sud « stéatopyge », autrement dit nantie de fesses particulièrement développées. Elle était née à la fin du XVIIIe siècle et s'était retrouvée au service d'un Afrikaner, Hendrick Caezar. Lequel avait quitté femme et enfants pour partir avec elle en Angleterre chercher fortune en exploitant ses mensurations extraordinaires.

 

En somme, elle était devenue un phénomène de foire, croyant qu'ainsi elle accéderait au monde du spectacle. Car Saartjie Baartman avait l'oreille musicale, une voix magnifique et des qualités de danseuse. Mais Caezar savait bien que, pour gagner vite de l'argent, ses aptitudes artistiques comptaient moins qu'une savante mise en scène de son physique.

Ils avaient mis au point un spectacle où Saartjie jouait la sauvage, capturée par Caezar, apparaissant dans une cage, obéissant à son « dompteur » qui haranguait les curieux venus voir la « bête ». Il la faisait alors quitter ses barreaux pour entrer en transe et permettre au public d'approcher son corps, de toucher ses formes. Saartjie se soumettait sans enthousiasme mais sans lutter non plus. Elle buvait pour oublier l'humiliation. Au moins était-elle nourrie et entretenue. Parfois même Caezar lui achetait des parures…

Contre de l'argent

Elle avait une autre singularité : des organes sexuels protubérants. Mais il n'était pas question, bien sûr, de les exhiber dans les fêtes foraines. D'ailleurs, personne ne le lui demanda jamais. Les seuls qui voulurent voir furent les scientifiques français qui, contre de l'argent, « empruntèrent » la jeune femme à Caezar. Durant quelques jours, à l'Académie royale de Paris, Saartjie fut donc observée, étudiée, dessinée, mesurée par une équipe d'anatomistes menée par Georges Cuvier. Ils n'avaient de cesse de vouloir prouver qu'elle ressemblait à un singe. Mais ils eurent beau faire, elle refusa d'ôter son pagne.

Digne, belle, d'une tristesse poignante mais toujours droite, Saartjie poursuivit sa route sans quitter sa noblesse. Pourtant, passée de Caezar à Réaux, un montreur d'ours, elle ne cessa de péricliter. Ses belles prétentions artistiques laissèrent place à la fatigue de cette vie où, peu à peu, elle paradait dans les salons chics, provoquant la fascination des nantis, puis dans les salons libertins, puis dans la prostitution. Elle était devenue un corps inanimé dont profitaient les autres.

De cette histoire réelle, Abdellatif Kechiche a tiré sa « Vénus noire », dont le visage en sueur scintille comme un diamant noir. Que serait-elle d'autre qu'une pierre, cette femme dont le film raconte la lente réification ? Une pierre, un minerai, une roche face à l'obscénité du regard des autres qui ne savent pas que de Saartjie et eux, ce sont eux les animaux - des bêtes curieuses, littéralement.

Dans le rôle du voyeur

La cruauté du parcours de cette femme est indissociable de cette obscénité, mais indissociable aussi du malaise que le film suscite, qui soumet pour partie le spectateur à ce rôle de voyeur que les autres tiennent.

Cette dureté n'est pas la seule force d'une œuvre qui n'en finit pas de réverbérer les questions qu'elle lève, interrogeant non seulement les fantasmes d'une société civilisée, mais aussi la fin de ce XIXe siècle où la science donne bonne conscience à la suprématie des Blancs.

Avec une volonté inflexible d'exhumer le passé dans sa chair même, Abdellatif Kechiche ne s'embourbe jamais dans des considérations psychologiques. Il s'attarde en plan serré sur le beau visage de Saartjie (qu'interprète avec une mélancolie impassible Yahima Torres) et, de toutes les violences qu'elle subit, y compris les plus sourdes, y compris sa mise à mort, fait un magnifique champ de mines dont la jeune femme est l'icône sacrifiée.

« Digne, belle, d'une tristesse poignante mais toujours droite, Saartjie poursuivit sa route sans quitter sa noblesse »

FICHE TECHNIQUE

« Vénus noire », d'Abdellatif Kechiche (France). Avec Yahima Torres, Andre Jacobs, Olivier Gourmet, Elina Löwensohn, François Marthouret. Durée : 2 h 39. En salle mercredi.

 

 

 

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