Aidez-vous, aidez l'Afrique!"
Interview
Afrique | 3 Avril 2010 | Mise à jour le 9 Avril 2010
Le chanteur, militant du développement, accuse la France de ne pas être digne de ses engagements et de son passé africain.
L’ex-punk qui n’aimait pas les dimanches est devenu l’un des premiers militants du développement en Afrique, animant l’ONG One, avec son "collègue" Bono, mixant une compétence reconnue et une gouaille popu-irlandaise jamais abandonnée.
Le JDD a rencontré Bob Geldof au Kenya, où il était l’invité dune conférence du Fonds monétaire international.
Déçu par la France, il livre ici un plaidoyer pour l’économie, la politique, et contre la charité et l’oubli.
"On n’échappe pas à son histoire, et vous, Français, votre histoire est aussi africaine, et vous n’en assumez pas les conséquences. Appelez ça la gueule de bois postcoloniale, ou allez juste vous promener à Barbès, et regardez.
Pour beaucoup d’Africains, Paris est la porte d’entrée en Europe ou en Occident. C’est vrai aussi de l’Angleterre, mais les Français sont plus romantiques! Seulement, le romantisme n’y suffit pas. Il y a de la politique, des engagements, des responsabilités.
Ce n’est pas le sanglot de l’homme blanc ; ce que vous devriez à l’Afrique pour avoir été ses colonisateurs, cela existe: les peuples africains vivent dans des Etats aux frontières imposées par les anciens colonisateurs… Mais je parle des engagements contemporains, d’un Etat qui se veut une puissance mondiale et un leader de la régulation.
En 2005, les pays les plus riches de la planète s’étaient engagés à doubler leurs aides à l’Afrique. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon l’ont fait. Seule la France n’a pas rempli ses obligations - vous en êtes à 13% de vos engagements. J’en ai parlé au président Sarkozy, nous en avons parlé à Christine Lagarde.
"On doit faire de l’économie avec l’Afrique"
Ce retard doit être comblé. Vous serez les hôtes du G8 et du G20 l’an prochain. Vous allez être très importants pour l’Afrique à ce moment-là. Vous devez être dignes de ce statut.
Vous ne pouvez pas vous contenter de faire défiler des armées africaines pour votre prochain Bastille Day, à l’occasion du 50e anniversaire des indépendances…
Il faut être concret. Vous savez l’être. Je connais bien Michel Camdessus, l’ancien patron du FMI, avec qui j’ai commencé à travailler sur la dette ; je vois le rôle de la France dans le Fonds mondial de lutte contre le sida. Je sais ce qu’y fait Carla. La France doit être au même niveau sur l’aide au développement. Prenez ça comme le prix à payer en échange du rôle clé dans la régulation. On vous demande 0,51 % de votre PIB, pour respecter la parole, l’honneur et la dignité de l’Etat et du peuple français! Au demeurant, c’est votre intérêt.
Aider réellement l’économie africaine n’atteindra pas votre niveau de vie. Et, au contraire, vous vous ferez du bien. Investir en Afrique, c’est créer des emplois chez nous!
Je voudrais que l’Europe cesse d’être aveugle à un marché gigantesque.
Entre le sud de l’Espagne et l’Afrique, il y a huit milles! Huit milles entre nous, le continent le plus riche, et le continent le plus pauvre de la planète, et ce décalage est un trésor d’opportunités. Un milliard de personnes qui nous attendent, et nous regardons ailleurs.
Nous sommes à genoux pour entrer en Inde, pour faire du business avec la Chine, et cela va devenir de plus en plus difficile… Mais nous laissons l’Afrique? Un milliard d’Africains ne veulent pas de yaourts Danone, de grands vins, ou des eaux françaises? Ils ne veulent pas consommer comme nous? Ils ne veulent pas nous exporter des produits qu’ils fabriqueraient?
On doit faire de l’économie avec l’Afrique. Pour l’instant, on en est encore à une conception étriquée de l’aide – qui en réalité est convertie en bons d’achat de produits français, par exemple. Il faut faire le pari du développement, et encourager l’économie et la production.
Notre énergie viendra de l’Afrique, nos marchés, notre richesse future. La corruption, l’instabilité, les guerres ne sont pas des excuses: elles viennent de la pauvreté, qui est le problème structurel de l’Afrique et sera résolu dans le développement. Les Africains se bougent déjà tout seuls, ils ne nous attendront pas…
Je ne crois pas à la charité ou à la compassion pour résoudre les problèmes de la planète: je crois à la politique et à l’économie. C’est ce que je nous demande."
Propos recueillis par Claude Askolovitch - Le Journal du Dimanche Samedi 03 Avril 2010
Source : http://www.lejdd.fr