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18 janvier 2009

Noir c'est gloire Black Power

Mathieu Durand pour Evene.fr - Janvier 2009
La révolte noire entamée dans les années 1960 aux Etats-Unis sous l'impulsion de figures comme Martin Luther King ou Malcolm X porte aujourd'hui ses fruits avec l'accession au pouvoir du premier président afro-américain de l'histoire du pays. Si on a beaucoup insisté sur le rôle des hommes politiques à cette occasion, la face musicale de cette révolution est aussi essentielle. Retour sur le free jazz et la blaxploitation, méconnus de ce côté-ci de l'océan.


James Brown(1933-2006), Isaac Hayes (1942-2008), Nina Simone (1933-2003), trois figures essentielles de la revendication d'égalité souhaitée par les Afro-Américains n'auront malheureusement pas pu assister à l'arrivée au pouvoir de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. Cette dernière est l'occasion de revenir sur le pouvoir de ces musiciens noirs sur les consciences lors de l'irruption d'un black power au début des années 1960, sur les caractéristiques de leur musique, et sur son véritable rôle (bande-son d'une révolte ou détonateur ?).


De la liberté au free

Pour comprendre l'aspect musical du black power, il faut se tourner vers un genre mal-aimé et souvent incompris : le free jazz. En se penchant sur la genèse de cette branche libertaire des héritiers du blues, on comprend le processus de pensée des Afro-Américains de l'époque. C'est la thèse d'un des seuls livres en français consacré au sujet, 'Free Jazz Black Power' de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli. À l'inverse de l'opinion commune qui déclare que "la musique apaise les moeurs", cet ouvrage affirme qu'il n'existe pas de musique asociale ou apolitique. Vouloir imposer, comme à notre époque, une musique unifiée, une musique de supermarché, une "uni-musique qui forme les corps à une écoute indifférente", est un acte politique loin d'être neutre. Le free jazz prône et défend l'inverse de cette idéologie. Comme le dit Archie Shepp : "Il n'est pas possible de voir sauter trois enfants et une église sans qu'il en reste quelque chose dans votre expérience culturelle." Loin d'être le reflet des luttes de Noirs aux Etats-Unis, le free en est l'effet, la manifestation symbolique. Musique diverse, hétéroclite, variée à l'outrance, il est même aujourd'hui difficile de la circonscrire. Ses représentants principaux se nomment Archie Shepp, Ornette Coleman, Albert Ayler, Don Cherry. On les accuse souvent de "ne pas savoir jouer", de faire "n'importe quoi", de créer le "bordel"… et ils le font exprès !


Le retour à l'Afrique

Le chaos (apparent) du free jazz se présente comme une réponse de l'esclave au maître blanc. Musique afro-américaine par excellence descendante du blues, le jazz a été "récupéré" par les Blancs après-guerre. Aux premiers rangs du jazz "cool" des années 1950 on ne trouve que des stars blanches (à l'exception notable de Miles Davis) : Chet Baker, Lee Konitz, Dave Brubeck, Gerry Mulligan ou Stan Getz. Le free jazz réalisera donc de manière symbolique le voeu de nombreux hommes politiques noirs : le retour à l'Afrique. Comment cela se manifeste-t-il ? Par une prééminence du rythme sur la mélodie : les jazzmen multiplient différents rythmes en même temps, tout en jouant sur les dissonances. Les piliers du free jazz ne jouent plus d'un, mais de plusieurs instruments, parfois en même temps, et cherchent à remettre au goût du jour une foule d'instruments folkloriques ou traditionnels d'Afrique, mais aussi d'Inde, d'Asie, d'Amérique du Sud… La musique n'est plus pur esprit, mais laisse le corps s'exprimer : on distingue sur les enregistrements des jazzmen free grognements, cris, onomatopées… Bref les tensions et les blessures vécues par les Noirs réapparaissent dans leur musique : le black power vu par le free jazz, c'est surtout la volonté instrumentale de symboliser les violences vécues par les Noirs. Et si les Blancs ne le comprennent pas, tant mieux : pour les tenants du free jazz les plus extrêmes, les Blancs ne pourront jamais comprendre leurs douleurs héritées de l'esclavage.   

Des mots sur les maux

Si le free jazz est la face instrumentale du black power, un appel à la liberté opéré par une musique libérée de toute entrave, les Afro-Américains ont aussi tenté à cette époque de mettre des mots sur leurs maux. Deux personnalités capitales symbolisent cette démarche : James Brown et Nina Simone, soit la fière affirmation d'une "négritude" pour reprendre le lexique d'Aimé Césaire. 'Young, Gifted and Black' de la diva Nina, symbolise totalement cette démarche. Enregistrée en 1969, cette chanson composée par la chanteuse-pianiste elle-même et écrite par Weldon Irvine s'est imposée comme un hymne dans la lutte pour les droits civiques couronnée d'un premier succès en 1964 avec le vote du Civil Rights Act qui interdit toute discrimination dans les lieux publics : son titre parle de lui-même, "jeune, doué et noir" – presque une description prophétique d'Obama. Engagé dans ce même combat, James Brown apparaît comme le complément funk et viril de la chanson soul et délicate de Nina Simone. Son morceau phare lui aussi ne nécessite que peu d'explications : 'Say It Loud – I'm Black and I'm Proud' ("dites-le bien fort : je suis noir et j'en suis fier"). Même destin que 'Young, Gifted and Black' pour cette chanson sortie un an plus tôt : 'Say It Loud…' fera presque office de slogan du combat des Afro-Américains. Au point que la Sex Machine regrettera quelque peu l'impact de ce morceau : son but était d'apprendre la fierté aux enfants noirs, et non d'opérer une séparation entre Noirs et Blancs.


La blaxploitation : la BO d'une époque

James Brown craignait que son morceau ne soit perçu comme un appel aux Noirs à se renfermer sur eux-mêmes. Son hymne louait la fierté, quelle que soit sa couleur. Pourtant, une des conséquences du black power, justement, fut de pousser certains Afro-Américains à se créer une sorte de communauté culturelle autonome. C'est la démarche inédite de ce qu'on a appelé la blaxploitation (contraction de "black" et "exploitation"), industrie culturelle principalement cinématographique et musicale faite par les Noirs pour les Noirs dans les années 1970 (même si en réalité certains films furent produits et réalisés par des Blancs). Le symbole même de cet Hollywood noir se matérialise dans le film 'Shaft' (1971), narrant l'histoire d'un détective privé black, mélange afro-américain de James Bond et Robin des Bois. Le succès de cette oeuvre, portée par la célèbre musique originale signée Isaac Hayes (toute de cocottes de guitare vêtue) résidait surtout dans l'image positive qu'il offrait des Afro-Américains. Si les oeuvres cinématographiques de cette industrie ne resteront pas dans les annales, il n'en reste pas moins que l'influence de ces films se fait encore ressentir aujourd'hui sur des cinéastes tels que Quentin Tarantino ou Spike Lee. L'image positive des Noirs relayée dans ces longs métrages, non plus seulement relégués aux rôles de larbins mais élevés au rang de héros, a eu une influence non négligeable sur les imaginaires des jeunes Afro-Américains de l'époque. Au moment de la sortie d'un remake de 'Shaft' en 2000, Samuel L. Jackson, qui reprenait le rôle alors tenu par le légendaire Richard Roundtree, déclarait : "C'était la première fois que je voyais à l'écran quelqu'un qui me ressemblait, qui parlait comme moi, qui s'habillait comme j'aurais aimé m'habiller et qui était un héros." Sans parler de l'immense patrimoine soul que laisse cet Hollywood noir à l'humanité lorsqu'on sait que les bandes originales de ces films étaient signées Curtis Mayfield, James Brown ou encore Herbie Hancock et Barry White…

La musique du black power, sous toutes ses formes, de la soul au free, a surtout rappelé rythmes et mélodies à leurs rôles social et politique. Qu'on le veuille ou non, la musique exerce un pouvoir presque magique sur ses auditeurs. Si ce ne sont pas les musiciens qui ont amené Barack Obama au pouvoir, ni poussé Rosa Parks à dire non un jour de décembre 1955, ces artistes du black power ont participé activement à rendre les Afro-Américains fiers de leur couleur, de leur histoire, de leurs racines.

Source : evene

Mathieu Durand pour Evene.fr - Janvier 200

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