La grande interview du bloggeur Saint-Ralph
Pour cette année 2009, j’ai eu l’idée d’interviewer certains acteurs Africains du net.
Monsieur ADJOBI Raphaël dit Saint-Ralph. En fait partie. C’est un africain de la diaspora vivant en région parisienne. A ce titre , il a accepté de réaliser un entretien avec moi. Je vous invite avec plaisir à le lire et si possible à apporter la contradiction.
Le Pangolin: Vous tenez sur Internet un blog qui parle de l’Afrique De quoi s’agit-il ?
Saint-Ralph. : Mon blog s’intéresse surtout à l’histoire de l’Afrique et des Afrodescendants éparpillés dans le monde.
Le Pangolin: Quel est le nom de ce blog ?
Saint-Ralph. : Mon blog s’intitule « Lectures, Analyses et Réflexions de Raphaël ».
Le Pangolin: Pourquoi ce nom ?
Saint-Ralph. : Il s’agit pour moi de faire des comptes rendus de lectures de livres susceptibles de me faire connaître le passé et la réalité quotidienne des Noirs dans le monde. S’intéresser au passé des Noirs suppose aussi, en effet, suivre leurs actualités, les analyser et en tirer des réflexions personnelles. Si je ne peux pas tirer de réflexion d’une information, c’est qu’elle n’a pas grande importance à mes yeux.
Le Pangolin: En parcourant votre blog, j’ai noté, par les livres que vous presentez, vous traitez le plus souvent les thèmes suivants : Le panafricanisme, le fédéralisme, le rôle de la diaspora dans la transformation et l’évolution de l’Afrique, les libertés individuelles, le rôle des élites, la démocratie et les relations Afrique-Occident. Alors qu’est-ce que vous entendez par panafricanisme ?
Saint-Ralph. : Pour être franc, je ne crois pas du tout au panafricanisme. Il n’a jamais existé et j’avoue que je ne le souhaite que d’un seul point de vue : une prise de conscience d’un mépris dont nous sommes tous les victimes, la prise de conscience de la nécessité de ne pas servir de fer de lance à l’avidité étrangère contre son frère africain. Mon panafricanisme se limite à cela. Hors de ce principe simple, je considère chaque pays africain comme une entité autonome qui doit rechercher sa voie indépendamment des autres. Loin de moi l’idée d’un panafricanisme fraternel qui permettrait à tous les africains de vivre en Afrique du Sud, au Ghana ou en Côte d’Ivoire sans aucun contrôle ou restriction. Contrôle et restriction ne voulant pas dire interdiction. D’ailleurs aucune interdiction n’est possible au mouvement des peuples.
Le Pangolin: Justement pour rebondir sur la question du panafricanisme, pour vous le panafricanisme serait –elle la seule voie pour l’évolution et la transformation de l’Afrique. Qu’est-ce qui fonde votre conviction ?
Saint-Ralph. : Je ne sais pas si parler d’une plus étroite coopération entre les pays africains signifie plaider pour le panafricanisme. Si oui, alors ce sera le deuxième principe qui fonderait mon panafricanisme. Car il est inadmissible de voir les pays européens voler au secours d’un pays africain en détresse pendant que ses voisins l’ignorent superbement.
Le Pangolin: Et le fédéralisme pour vous c’est quoi exactement ?
Saint-Ralph. : Qu’avons-nous à fédérer ? Il est difficile aujourd’hui de penser à une fédération des pays africains.
Le Pangolin: Pour coller à l’actualité, quelle est votre réaction sur ce qui se passe au Zimbabwé et au Ghana ?
Saint-Ralph. : Justement, ce qui se passe dans ces deux pays nous donne la preuve que nous ne partageons pas les mêmes idéaux. Il est impossible de s’entendre si nous n’avons pas la même idée de la démocratie, la même idée de l’état, de la nationalité, ou du moins des idées très voisines.
Le Pangolin: Au vu de ce qui se passe au Zimbabwé, malgré les violences post-électorales, pensez-vous toujours que la démocratie reste un passage obligé pour la démocratie et la paix en Afrique ?
Saint-Ralph. La démocratie, c’est la possibilité pour le peuple de faire et défaire ceux qui le dirigent. S’il y a dans un pays des institutions qui permettent cela, c’est dire que c’est une démocratie. Et c’est la voie que les peuples africains souhaitent et désirent. Mais nos dirigeants souvent au service de l’avidité des pays plus puissants ne permettent pas une mise en place facile de cette forme de gouvernement qui est absolument nécessaire au développement harmonieux et durable de nos pays.
Le Pangolin: Alors que pensez-vous des tripatouillages des constitutions et des élections opérées ici et là par différents dictateurs africains qui ne veulent pas céder leur place à d’autres ? Il est à noter que l’année 2009 est une année électorale dans plusieurs pays (Afrique du Sud, Algérie, Congo, Niger, pour ne citer que ces pays-là)
Saint-Ralph. : L’apprentissage de la démocratie passe par là. Les pays Européens semblent avoir oublié ce passé chaotique et honteux qu’ils ont connu. Les Africains doivent éviter de comparer des choses qui ne sont pas comparables et éviter d’exagérer les fraudes au point de sortir les armes à feu après chaque élection.
Le Pangolin: Est-ce que ces violences ne posent pas le problème de la greffe démocratique qui n’a pas pris en Afrique ? C’est-à-dire les constitutions claquées sur celles de l’occident ?
Saint-Ralph. Il y a aujourd’hui en Europe de nombreuses émissions radios qui démontrent que depuis toujours, derrière chaque coup d’état fait en Afrique il y a eu une main étrangère. Je conseille vivement le livre La Traite des Noirs et ses acteurs Africains de Tidiane Diakité à tous les Africains. Ils comprendront clairement que c’est ainsi que les Européens agissent avec les Africains pour continuer à les dominer depuis le 15 è siècle. Et dans ce livre, les Européens s’en ventent. Cinq siècles après, ils appliquent la même politique en Afrique. Pourquoi la changer si elle fonctionne toujours.
Le Pangolin: Pour vous le problème de la démocratie en Afrique est-il du aux constitutions ? Ou bien c’est plutôt celui des Hommes? Quelle en est votre explication ?
Saint-Ralph. : En Afrique comme ailleurs, le problème des dysfonctionnements de l’état ne tient pas à la qualité des Constitutions mais bien aux hommes qui ne savent pas les respecter. Quand on se donne une constitution, toujours mauvaise pour les uns et bonne pour les autres, il faut savoir la respecter et en faire le cadre d’un travail national. Mais c’est également par le travail qui s’opère dans le respect de la Constitution qui permettra aux hommes de la faire évoluer. On ne prend pas les armes chaque fois que l’on n’est pas d’accord avec la Constitution. Sinon, ce que vous bâtirez sera à son tour détruit dans la logique des choses.
Le Pangolin: Donc ce problème de qualité serait dû à l’origine à la nature de la formation et des conditions de cette formation ?
Saint-Ralph. : Je n’ai pas compris la question.
Le Pangolin: Qu’en est-il selon vous de la responsabilité des élites africaines en ce qui concerne les violences politiques récurrentes que connaît l’Afrique, tout comme celui des coups d’état ?
Saint-Ralph. : Certes, il y a chez eux à la fois une ignorance ou un mépris des règles de la vie démocratique mais aussi l’appétit des gains faciles qui les rendent victimes de la rapacité des occidentaux qui les manipulent. Les Européens leur disent, si vous ne faites pas l’affaire, nous choisirons un autre. Alors, les Africains se disent « qui est fou ? »
Le Pangolin: le problème est donc culturel ?
Saint-Ralph. : Elle n’est nullement un héritage d’une tradition africaine. Elle est une habitude prise avec la domination des blancs. C’est l’histoire qui nous l’enseigne.
Le Pangolin: Selon vous quels sont donc les critères pour la naissance d’une vraie élite africaine, démocratique et efficiente capable de changer le cours des choses?
Saint-Ralph. 15 : Au regard de tout ce que je viens de dire, on peut croire que seul l’orgueil des Africains leur permettra de changer le cours des choses.
Le Pangolin: Et la grande masse de la population du continent qui n’a pas accès à l’école et aux soins, comment elle peut améliorer son niveau de connaissance car les dictatures selon vous se nourrissent d’ignorance du peuple ?
Saint-Ralph. : Je ne crois pas au lien étroit entre les dictatures et le niveau d’instruction du peuple. Il n’y a pas que des dictatures en Afrique. Dans la plupart des pays, c’est à un mauvais fonctionnement des institutions qu’on assiste plutôt qu’à la manifestation d’un pouvoir dictatorial. Il ne faut pas abuser du mot « dictature » comme le font les Européens chaque fois qu’ils parlent de l’Afrique. Sur notre continent, les pouvoirs sont trop centralisés pour permettre des réponses satisfaisantes aux besoins des pays. L’objectifs de tous, c’est l’exercice du pouvoir et non point du devoir social. Quand chaque ministre ou chef d’état voudra accomplir une action concrète qui se voit, les choses bougeront.
Le Pangolin: En tant qu’observateur et analyste de l’Afrique quel regard portez-vous sur la jeunesse et la femme africaines ?
Saint-Ralph. : La jeunesse est partout dans l’impasse. Il faut absolument multiplier les écoles de formations professionnelles et aider à l’installation des jeunes. Cela changera profondément les pays africains. Quant aux femmes, je crois qu’elles ont les mêmes problèmes que les hommes : chômage et vie précaire. Elles sont le plus souvent dans les petits métiers ; ce qui fait qu’elles vivent moins durement la crise que les hommes qui cherchent les postes les mieux payés.
Le Pangolin: Pour vous donc la diaspora a un devoir de transmission ? Dans quel sens ?
Saint-Ralph. : Il ne faut pas exagérer le rôle que pourrait jouer la diaspora en Afrique. Hier, c’était se former en Europe pour aller travailler en Afrique. Aujourd’hui, on vient en Europe pour y travailler et y faire sa vie. Que voulez-vous que l’Afrique attende de telles personnes ? Je ne crois pas que l’Afrique a quelque chose à attendre de sa diaspora. Nulle part l’Afrique ne l’a manifesté. Il n’y a que quelques éléments prétentieux qui se croient l’avenir de l’Afrique.
Le Pangolin:Quelle place accordez-vous aux femmes et aux jeunes dans le futur africain
Saint-Ralph. : La jeunesse reste toujours l’avenir d’un pays. Quant à la femme elle est embarquée dans le même bateau que l’homme. Son avenir est le même que celui de l’homme ; c’est à dire ce qu’elle saura construire aujourd’hui. On récolte ce que l’on sème.
Le Pangolin: A propos des relations Afrique-Occident, quel est votre regard sur l’occident et son comportement envers l’Afrique ?
Saint-Ralph. : Grâce à mes récentes lectures, je sais que la mainmise de l’Europe sur l’Afrique ne date pas de l’époque coloniale. Non, elle ne date pas du début du 20è siècle. La manière dont l’Europe gère les relations entre elle et l’Afrique date du 16 è siècle. Hier, c’était des êtres humains contre des produits manufacturés. Aujourd’hui, ce sont des matières premières contre des produits manufacturés. L’Afrique ne vend pas de produits finis à l’étranger depuis plus de quatre siècles. Elle a perdu l’habitude de l’invention qu’il lui faut retrouver. Mais bien sûr l’Europe veille pour que les choses ne changent pas parce qu’elle ne veut pas perdre sa source de biens et son marché. Aussi depuis l’époque de l’esclavage, elle provoque des coups d’état, flatte l’un, méprise l’autre en l’affublant de tous les noms et de tous les maux de son peuple. Et ça fonctionne très bien.
Le Pangolin: Comment voyez-vou l’évolution de l’Afrique en cette année 2009? Surtout après l’élection de Barack Obama aux Etats-Unis d’Amérique ?
Saint-Ralph. : J’espère un peu plus d’orgueil de la part des Africains qui favorisent les ventes d’armes en cherchant à renverser les pouvoirs en place. La démocratie, c’est aussi le refus des armes et la défense de ses idées sur la place publique. La démocratie, c’est apprendre à planter un arbre et savoir attendre qu’il porte des fruits. Il y a des gens qui se disent très forts parce qu’ils cueillent des tomates vertes puis les font mûrir avec du gaz carbonique et les mettent rapidement sur le marché afin de gagner plus rapidement de l’argent. Mais tout le monde sait que leurs produits sont de mauvaise qualité par rapport aux produits de ceux qui savent attendre que ce qu’ils ont semé mûrisse.
Le pangolin : Tous mes remerciements pour avoir accepté de répondre à ces questions. Février 2009